Veni Vidi Vinci – Le génie en héritage
Près de quatre mois après sa première exposition consacrée à l’artiste américaine Swoon qui a réuni plus de 150 000 visiteurs, le centre d’art urbain parisien Fluctuart inaugurait le 6 novembre dernier sa deuxième exposition, cette fois-ci collective. Alors que le musée du Louvre célèbre en grande pompe les 500 ans de la disparition de Léonard de Vinci, Fluctuart nous invite à explorer l’héritage du maître à travers les œuvres d’une vingtaine d’artistes contemporains. Visite guidée en compagnie d’une partie d’entre eux, accompagnés de leur curateur Cyrille Gouyette.
Historien de l’art et chef du service Éducation et Formation au musée du Louvre, ce dernier, épaulé par le directeur artistique Nicolas Laugero-Lasserre, a imaginé un dialogue à travers les âges entre le génie de la Renaissance et l’art urbain contemporain : « cette exposition est née d’une discussion avec Nicolas Laugero Lasserre qui voulait me confier le commissariat d’une exposition à Fluctuart, raconte le curateur. Alors que nous célébrons l’anniversaire de la disparition de Léonard de Vinci, j’ai immédiatement saisi cette occasion. Notre point de départ, c’était l’œuvre de Banksy que ce dernier avait déposé illégalement au Louvre. Pour des raisons d’authentification, nous ne savons pas encore si nous allons pouvoir l’exposer, mais elle plane comme un fantôme sur cette exposition. Avec Nicolas, nous avons échangé nos idées à partir de ce thème et nous avons travaillé en totale synergie. Alors que je viens de terminer la rédaction d’un ouvrage qui tisse des liens entre l’art classique et l’art urbain, j’avais en tête des artistes qui avaient déjà travaillé sur l’œuvre de Léonard de Vinci comme Zevs, Nick Walker ou Okuda ; et d’autres dont je connaissais l’univers et les possibilités d’aborder l’œuvre du maître comme Faith XLVII ou Logan Hicks. Il faut dire qu’avec l’anniversaire de sa mort, beaucoup d’artistes ont récemment fait référence au génie florentin. Okuda par exemple, était déjà en train de travailler sur La Cène lorsque je l’ai sollicité. Tout comme les VLP qui venaient de réaliser leur toile. Avec Nicolas, nous avons en quelque sorte pris l’œuvre de Léonard de Vinci comme prétexte à montrer la diversité des genres de l’art urbain, ainsi que des artistes historiques et émergeants. »
Dès l’entrée sur la barge, une imposante sculpture de métal et de bois fait face aux visiteurs. Parmi les mille visages du génie italien, Sylvain Ristori rend ici hommage à l’ingénieur que fut Léonard de Vinci.
« Ce qui me plait dans son œuvre, c’est la dynamique guerrière, l’ingénierie mécanique et tous les systèmes qu’il a développé, confie l’artiste français, habitué à réaliser dans l’espace public d’imposantes sculptures de bois. Avec cette pièce, j’essaye de souligner le contraste et l’opposition entre l’ingénierie guerrière et l’ingénierie festive de Léonard de Vinci. L’autre partie de son travail qui me touche, c’est le graphisme : le travail du dessin, le rapport au papier dans sa dimension plus académique. Ici, j’ai fait quelque chose d’hybride entre une turbine, une torpille et une fusée, que j’ai nommée Mecavia. Quelque chose d’abstrait qui n’a pas de fonction définie et qui renvoie à la mécanique comme à l’aviation. Il y a un côté rationnel et un autre plus onirique, plus poétique. Cette pièce est réalisée avec des éléments de récupération qui se rapportent à mon quotidien : des lames de scie, des bouts de la charpente de ma maison, un cumulus d’eau chaude, des clefs…Tout cela assemblé avec la volonté de créer une impression de lévitation, qui n’envahisse pas seulement l’espace mais qui soit autonome. »
Dans l’espace d’exposition du centre d’art, quatre parties découpent cet hommage à l’artiste italien. La première illustre la pensée en mouvement et le processus créatif, à la fois chez Léonard de Vinci mais aussi chez les artistes invités.
« Il s’agit de montrer la grande variété des intérêts du peintre florentin pour l’anatomie, l’animal, le portrait, etc. Et aussi la grande variété des techniques utilisées par les artistes urbains, poursuit Cyrille Gouyette. Andrea Ravo Mattoni s’est par exemple servi de la mise au carreau pour réaliser sa fresque sur place, alors que Swoon nous a proposé un travail de gravure dont nous montrons la matrice en regard de l’estampe qu’elle a ensuite rehaussée à la main. Avec Madame, on montre à la fois son travail minutieux d’atelier superposé à ses compositions destinées à la rue. BomK, lui, a choisi de représenter l’outil emblématique de l’art urbain : la bombe aérosol, ici décrite en écorché, à la manière des études du maître qui disséquait les corps pour mieux les retranscrire. Faith XLVII, dont l’installation évoque l’atelier avec différents stades de dessins, évoque l’univers équestre que Léonard de Vinci a abordé avec la sculpture notamment. »
Faith XLVII, sud-africaine aujourd’hui expatriée à Los Angeles, nous avoue travailler ici pour la première fois autour de l’œuvre de Léonard de Vinci. « Ayant beaucoup abordé la thématique des chevaux auparavant, c’est par ce biais que j’ai fait la connexion avec ses travaux, explique-t-elle. Cet animal me permet d’aborder l’exploitation des ressources naturelles par l’homme, sa domination sur les animaux ainsi que la notion patriotique. Car sur bon nombre de statues historiques, c’est lui qui porte les hommes conquérants. Depuis longtemps je récupère toutes sortes d’objets dans les lieux abandonnés ou dans la rue lors de mes voyages. Pour cette installation créée spécialement pour l’occasion, j’ai choisi des objets qui fonctionnent entre eux, afin de créer quelque chose de narratif. »
La deuxième partie est dédiée au chef d’œuvre iconique : La Joconde. On y voit comment les artistes interrogent le statut du chef d’œuvre à travers différentes interprétations plus ou moins fidèles de cette œuvre majeure.
« Parmi ceux qui se penchent sur la question de l’icône, Ozmo confronte ici la Joconde au pop art et met en perspective la notion de travail manuel avec celle du numérique, commente le curateur. Tout comme Speedy Graphito dont la pixellisation renvoie au flou, au sfumato qu’utilisait Léonard de Vinci pour rendre ses sujets plus vivants. Les Miaz Brothers, qui cherchent à dévoiler l’âme des œuvres dont ils s’emparent, poussent le flou à son paroxysme et démontrent que l’on reconnaît Mona Lisa bien avant d’en percevoir les détails. Zevs quant à lui aborde la question de la monstration avec cette copie parfaite de la Joconde devant laquelle trône un faux sac à main Vuitton en bronze. Le tout est posé sur un velours rouge dans une vitrine qui renvoie au musée. Pourquoi tant d’artifices pour une simple copie ? L’artiste questionne ici le vrai et le faux, et aborde la question de l’appropriation en griffant le sac à main du monogramme de Léonard de Vinci. Ce même monogramme que Vuitton a détourné pour réaliser son logo. D’autres comme Blub ou Nick Walker traitent la Joconde de façon irrévérencieuse, comme un pied de nez au visiteur, à l’histoire de l’art et à l’œuvre en elle-même. »
Interrogé sur sa Joconde qui nous montre fièrement son postérieur, l’artiste britannique Nick Walker s’explique : « Cette image est née en 2006 d’une conversation avec Paul Insect et Banksy alors que je leur montrais la Mona Simpson que je venais de peindre. Banksy m’a rétorqué : tout a été fait avec Mona Lisa, on ne peut désormais plus rien faire de nouveau ! C’est resté dans un coin de ma tête et j’ai cherché à faire une nouvelle image de Mona Lisa, jusqu’à ce que je me dise : si on rajoute un O à Mona, ça fait Moona. Je vais donc peindre Mona Lisa qui nous montre sa lune. J’ai fait un croquis rapide, organisé une séance photo pour préparer mon image et je l’ai peinte dans la rue, à divers endroits en Europe. Pour cette exposition, j’ai refait la matrice en plus grand. Du coup je vais peut-être la peindre dans la rue à nouveau. J’aimerais aller en Italie, dans le village où l’original fut peint par Léonard de Vinci, et ce sera alors la toute dernière fois que je peindrai cette image. »
La troisième partie aborde l’homme au centre de l’univers, avec des interprétations de l’homme de Vitruve réalisées par Clet et Zevs, qui nous amènent plus loin au Salvator Mundi, l’œuvre la plus chère du monde. Pour l’occasion, le curateur a commandé une copie à l’artiste espagnol Julio Anaya Cabanding sur le support le plus cheap du monde : un vulgaire bout de carton.
Enfin, la dernière salle est consacrée à Léonard de Vinci en tant que muraliste, avec deux interprétations de la Cène. Celle d’Okuda et son univers pop qui dénonce la politique capitaliste américaine et face à elle, celle de Logan Hicks qui, à la manière des peintres de la Renaissance, a recouvert la totalité du mur.
« Cyrille Gouyette, sachant que j’étais inspiré par les œuvres des grands maîtres, m’a proposé de travailler sur la Cène, confie Logan Hicks. Je n’ai pas voulu faire une peinture religieuse car ce n’est pas l’environnement dans lequel j’ai grandi. Je fais cependant référence à cette phrase de Jésus : l’un de vous va me trahir, tout en faisant un parallèle avec Thanksgiving. Aux États-Unis, cette fête résonne pour tous comme un désastre : on y retrouve des membres de sa famille que l’on ne voit qu’une fois par an, tout le monde est bourré, on dit des choses que l’on ne devrait pas, on s’engueule et l’on se souvient alors pourquoi on ne les voit pas durant le reste de l’année. J’ai donc peint une réunion de famille sur le point de dégénérer. Je n’ai pas voulu désigner un personnage qui représenterait Jésus, c’est au spectateur de choisir. Mes personnages incarnent différents stéréotypes : il y a cette adolescente qui regarde son téléphone et qui voudrait être ailleurs, un grand père qui semble ne s’intéresser à rien, un oncle qui a manifestement trop bu, le gamin qui s’immisce dans ce qui ne le regarde pas, le chien qui saute sur la table… Contrairement à l’original, ma Cène souligne une diversité culturelle, d’origine et de genre. J’ai peint cette fresque au sol, dans mon atelier. Ce dernier étant trop petit pour ce genre de format, j’ai procédé par sections. Ici, je la découvre pour la première fois en entier. »
Pour clore en beauté cette exposition plurielle, c’est hors les murs, sur le quai du port du Gros Caillou où est amarré le centre d’art que Lek et Sowat ont choisi de se déployer. En partenariat avec la société de mapping Athem, ils font courir sur le mur qui fait face à la barge leurs signes abstraits dans une boucle psychédélique. Une féérie visuelle qui apparaît dès la nuit tombée.
« Lorsque Nicolas Laugero-Lassere et Cyrille Gouyette nous ont contactés pour participer à cette exposition à travers le partenariat qu’ils ont noué avec la société Athem, ils ont visé juste, racontent les deux artistes parisiens. Il se trouve que nous avions déjà fait un projet de mapping alors que nous étions à la Villa Médicis. Nous avions projeté des images fixes sur la façade de la Villa. Cela c’est avéré être une très bonne expérience mais nous étions un peu restés sur notre faim car nous n’avions pas abordé l’animation. Ici, c’est ce que nous avons pu faire. Nous avons alors réfléchi à une idée de scénario avec les motion-designers d’Athem. C’est la première fois que l’on lâche prise à ce point en laissant des gens créer quelque chose de nouveau à partir de nos travaux. Notre ami Tcheko, qui vient du modélisme 3D, nous a d’abord confié l’un de ses personnages afin de représenter l’homme de Vitruve. Puis nous montrons une succession de tableaux plus abstraits, issus de nos peintures sur toile ou sur mur. Durant deux mois, nous avons fait des allers-retours entre les propositions des motion-designers et les nôtres, chacun réagissant à ce que l’autre imaginait. Pour nous, Léonard De Vinci évoque la technique, la technologie et l’architecture. On a donc amorcé notre séquence avec une mise en abime, en montrant les outils modernes, les logiciels 3D, et la façon dont les motion-designers les utilisent. Car si De Vinci vivait aujourd’hui, nous sommes persuadés que c’est ce genre d’outils qu’il utiliserait. »
Photos et propos recueillis par Nicolas Gzeley
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